Je vis au cœur d’un pays perdu dont pourtant je ne suis jamais parti j’y suis né j’y mourrai un pays qui n’est plus mais qui partout me suit je voudrais en sortir que je ne le pourrais pas on voudrait m’en chasser qu’on ne le pourrait pas il est parfois si petit que malgr
é son fleuve et ses lacs sauvages il n’est pas plus gros qu’une larme et parfois si immense qu’il s’étend sans fin j’en ai pris possession à ma naissance fier découvreur sortant du ventre de ma mère comme d’une caravelle venue de bien plus loin que La Rochelle un pays pareil à celui qu’en mon enfance j’ai bâti au bord du lac St-Pierre parmi les quenouilles et les roseaux
...[+++] où j’enfonçais mes racines dans le sol des légendes pour que l’arbre de ma vie y puise la sève de la poésie un pays d’étés où mon ami le feu descendait du zénith pour nager avec moi un pays d’automnes où mes forêts intérieures chantaient en flammes de toutes les couleurs un pays boréal aux yeux de givre soleils de verglas brûlant sur la neige un pays où de gros flocons d’oies blanches fondaient dans l’air pur du printemps dans mon pays on est si fous de beauté que les fleurs des prés se changent en hirondelles et s’envolent sur des plumes de parfum bleu si fous de musique que les glaçons au bord des toits sonnent comme un clavier de verre sous les petits maillets du froid si fous de magie qu’on voit les arbres de janvier se changer en harfangs géants sous leur duvet de frimas si fous d’amour qu’on caresse la peau des jours et que chaque rivière est une femme nue qui sourit sur un lit de lumière personne ne meurt dans mon pays à chaque fête de famille quelques-uns de mes ancêtres les plus lointains même ceux de 1663 venus de St-François du Havre de Grâce s’amènent avec leurs instruments et se mettent à danser s’il arrive qu’un jour je perde mon pays perdu je deviendrai pareil au sans-abri hagard qui par les nuits d’hiver au fond d’un cul-de-sac parmi les détritus et les poubelles n’a plus pour seule maison qu’une sale boîte de carton ...